Le reprise de la plateforme crypto en difficultés n’a guère enthousiasmé les foules. Sur la centaine de prospects démarchés par le mandataire de justice, seuls deux candidats ont finalement déposé une offre « valable », l’entreprise parisienne Trakx et la société tongroise Evolut. Mais les prix proposés s’avèrent d’ores et déjà insuffisants pour restituer l’intégralité de leurs cryptomonnaies aux clients de Bit4You.
« Plaise au tribunal d’autoriser la vente du portefeuille de clientèle de Bit4You à Trakx et la vente de l’IP/Data/Software Infrastructure à Evolut ». C’est par ces mots que l’avocat Roman Aydogdu, le mandataire de justice chargé de la cession des actifs de l’exchange déchu, conclut sa requête adressée aux juges du tribunal de l’entreprise de Bruxelles le 13 janvier dernier.
La justice doit justement se prononcer ce vendredi dans le cadre de la procédure de réorganisation judiciaire par transfert (PRJ) et statuer sur les offres reçues de manière atypique puisque la continuité de l’entreprise crypto ne vise pas à sauvegarder l’emploi mais trouver une solution pour les milliers de clients de Bit4You qui ne jouissent plus de leurs actifs numériques.
Or, comme l’observe Me Aydogdu dans son document, les prix proposés par les candidats repreneurs ne permettent pas de désintéressement intégral, à savoir rendre aux membres de la plateforme crypto tout ce qui leur serait dû. « Ce qui pourrait conduire à des créances s’élevant à quelque 10 millions d’euros (ceci sous réserve de l’évolution de la valeur des monnaies virtuelles) », chiffre-t-il. Ce spectre de faillite a d’ailleurs servi d’argument aux avocats représentant près de 300 clients afin d’obtenir mercredi un protocole d’accord avec les actionnaires de Bit4You, laissant espérer une solution de remboursement.
L’organisation du transfert d’actifs s’est en tout cas apparenté à un casse-tête juridique pour le mandataire de justice. Impossibilité de garantir le statut des crypto-actifs, « à défaut de cadre légal spécifique ou de précédents jurisprudentiels », impossibilité d’établir de manière définitive « le décompte des insuffisances des stocks des monnaies virtuelles », etc. Autant d’éléments qui, sinon tempèrent, circonstancient les résultats marginaux de l’appel d’offres pour la reprise des actifs de la plateforme.
Beaucoup d’appelés mais peu d’élus
L’avocat Roman Aydogu avait entamé la phase de prospection pour la vente de Bit4You à la mi-octobre 2023. Dans le cadre de l’appel au marché, le mandataire de justice avait informé quelque 111 opérateurs, sélectionnés essentiellement en France, au Luxembourg et aux Pays-Bas. Sur cet ensemble de prospects, seize (14%) ont répondu à la sollicitation en marquant leur intérêt. Dix ont signé une clause de non-divulgation et ainsi accédé à la data room, l’espace de stockage des informations mises à disposition par Bit4You pour permettre aux potentiels acquéreurs de les consulter avant toute offre. Des compléments d’informations ont été apportés par visioconférences ou par écrit et l’un des opérateurs intéressés a pris contact avec la FSMA, l’autorité des marchés financiers, pour obtenir des précisions sur le plan régulatoire.
Les candidats repreneurs devaient déposer leurs offres fermes sur l’infrastructure logicielle/data et droits intellectuels (IP), le portfolio clients ou l’ensemble avant le 15 décembre 2023. Mais tous les opérateurs qui avaient réagi à l’appel d’offres ont dû être relancés individuellement le 10 décembre, précise dans sa requête Me Aydogdu, notant n’avoir reçu aucune offre non plus d’entreprises avec lesquelles les dirigeants de Bit4You et de sa maison mère Chainius Solutions avaient négocié antérieurement à la PRJ, « dont certaines avaient abouti à des lettres d’intention ».
Finalement, seules trois offres ont été émises, deux qui portaient uniquement sur le portefeuille de clientèle et une qui portait sur l’ensemble.
Petites propositions, entre Paris et Tongres
Le mandataire de justice a procédé à l’analyse des trois offres, sous la surveillance du juge, jusqu’au 24 décembre, avant d’entamer la phase de négociation et de mise en concurrence. Non sans heurt puisque « les trois offres formulées étaient irrégulières ; les offrants ont dès lors été appelés à les régulariser sur l’ensemble des points problématiques », stipule le document en n’accordant pas de détails supplémentaires sur la nature exacte des malfaçons.
Seuls deux des trois offrants ont ainsi donné suite à l’appel à régularisation et amélioration des offres, fait remarquer Roman Aydogdu, soulignant que le dernier offrant n’a même plus répondu à sa relance début janvier.
La seule offre sur le volet du portefeuille de clients qui a été retenue provient de l’entreprise parisienne Trakx, spécialisée dans le trading sur indices crypto (et enregistrée PSAN en France). Le montant proposé s’élève à « 50.000 euros payables à la signature » majorés d’un prix variable HTVA égal à 1% de la valeur en euro des cryptomonnaies transférées depuis Bit4You, « au jour où le client devient client de Trakx ».
L’autre unique offre retenue sur la partie IT/IP a été quant à elle menée par la société tongroise Evolut, une structure active dans la consultance informatique. En contrepartie de la cession, Evolut s’est dite « redevable de 150.000 euros HTVA payable à la signature », un prix considérablement inférieux aux investissements réalisés par Bit4You pour le développement de la plateforme (4,4 millions d’euros), auxquels s’ajoute 1,5 million d’euros d’immobilisations incorporelles.
« Cependant, aucune autre offre n’a été manifestée en dépit d’un très large appel au marché », justifie Me Aydogdu, en insistant aussi sur le fait que cette partie ne peut intéresser que des opérateurs qui n’ont pas encore mis en oeuvre d’infrastructure.
Pour la petite histoire, Evolut s’était initialement associée à l’un des anciens gérants de Bit4You pour faire une offre sur la reprise de la clientèle et de l’IT/IP mais cette offre restée irrégulière a été retirée en raison de la défection de l’ex-dirigeant.