Pub trompeuse et vente pyramidale : « L’impunité règne sur les médias sociaux »

« Malheureusement, le flux est important et les escrocs rivalisent d’ingéniosité pour passer à travers les mailles », regrette l’avocat Florian Ernotte, associé du cabinet Avroy, qui dépose à tire larigot des plaintes à ce propos auprès de juges d’instruction.

Les temps sont durs. Qui, en situation précaire, ne chercherait pas à générer des revenus supplémentaires ? Au risque de se laisser appâter par des structures pyramidales. Sur les conseils intentionnés de son entourage, on se retrouve facilement dans ces milieux fermés où on nous assure qu’il est possible de changer de vie. En quelques heures de formation, en quelques placements bien pensés. Sur des marchés un peu plus risqués car nettement plus rémunérateurs. Un peu de trading sur le Forex, un peu sur les cryptos. En plus, les modèles de réussite s’affichent librement sur les réseaux sociaux, vantent les mérites de ce « business en ligne » et, en bons influenceurs, attirent de nouveaux entrants. Qui à leur tour assureront d’autres enrôlements.

« Les formes d’investissements rendues accessibles ne sont bien souvent pas soumises à un quelconque contrôle financier et la commercialisation de certains produits est interdite en Belgique auprès des particuliers », avertissait déjà la FSMA, notre Autorité des services et marchés financiers, en… 2020. Mêlant douteux marketing multiniveau (MLM) et apparente fraude pyramidale, ce phénomène semblait ciblé par les autorités, le cadre réglementaire s’étant même durci. Mais les faux messies des cryptos, en vrais gourous des réseaux, se réinventent, au point de créer de l’émulation un peu partout en Belgique, jusque dans des coins plus reculés comme le veulent les préoccupations visant la Villa du Bitcoin à Battice.

Sur le terrain, femmes et hommes de loi ne peuvent que confirmer cette déroute révoltante tant les arnaqueurs agissent manifestement sans craindre de conséquences. L’avocat Florian Ernotte, cofondateur du cabinet Avroy, responsable du certificat universitaire sur les enjeux managériaux de la blockchain à Hec-Liège et auteur de Blockchain et crypto-actifs, Opportunités et droit(s), aux éditions Edipro, déplore que « des clusters sont détectés mais que rien ne semble vraiment bouger ».

Be-Crypto : Les porteurs du projet Villa du Bitcoin semblent impliqués dans un programme de marketing de réseau (Learn Do Succeed / iGenius / Investview) qui rappelle tous ces signaux d’alerte qu’envoie à intervalles réguliers l’Autorité des marchés financiers ?

Florian Ernotte : Oui, il y a malheureusement beaucoup d’arnaques de ce type qui circulent depuis le bear market (la tendance durablement baissière sur les marchés crypto). Des publicités sur les réseaux sociaux apparaissent et proposent des rendements mirobolants. Ce sont toujours des escroqueries pures et dures. La victime investit une petite somme puis est mise en confiance. Après, c’est l’escalade et les victimes se retrouvent dans des situations incroyables.

Pour le MLM, le marketing de réseau, on rencontre souvent des systèmes de type Ponzi où les derniers arrivés paient les premiers arrivés… s’il y a un paiement car bien souvent, des périodes de blocages sont mises en place. Après avoir récoltés des fonds, la plateforme disparait et les victimes se retrouvent sans rien.

Toutes ces activités commerciales et d’intermédiation financières sont régulées, donc les plateformes et les outils de trading doivent être liés à une entité enregistrée auprès d’un régulateur. Ce qui n’est jamais le cas.

Ces entreprises de MLM se revendiquent d’un mouvement d’éducation financière qui dans la pratique se traduit en activités commerciales ne respectant visiblement pas la législation en matière de produits financiers et en opérations marketing ne se conformant pas la réglementation de la publicité relative aux cryptomonnaies ?

D’un point de vue réglementaire, il faut noter que la FSMA a publié un règlement en 2014 qui interdit la commercialisation de produit financier qui dépend directement ou indirectement des cryptoactifs (elle parle de « monnaie virtuelle » » dans le règlement). Or, la majorité des arnaques rencontrées portent sur des rendements qui dépendent directement ou indirectement des cryptoactifs.

D’autre part, un règlement sur la publicité est rentré en vigueur récemment et impose une série de mentions obligatoires à apposer. Dans tous les cas, le programme de marketing de réseau ne respecte pas ces obligations, ce qui en dit long sur leur sérieux. Pour certaines démarches en mass media campaign, les acteurs ont pour obligation de le notifier préalablement à la FSMA, 10 jours avant. Et de manière générale, aucun warning ne semble respecté. Même si un acteur économique estime proposer de l’éducation financière, il ne peut pas sous couvert de cette « éducation » vendre des cryptos sans respecter alors le règlement publicitaire.

Cette problématique des « traders d’Instagram » semble malgré tout prospérer : la Belgique s’avère-t-elle dépassée judiciairement, en termes de contrôle, de poursuite et de sanction ?

D’un point de vue judiciaire, nous sommes aux prémisses. Dire que toutes les plaintes des victimes sont traitées serait inexact. L’attitude du Parquet laisse penser que les plaintes déposées en commissariat sont classées sans suite ou « oubliées ». Il est dès lors nécessaire de saisir un juge d’instruction pour mettre en mouvement l’action publique. Grâce à un travail minutieux de la victime, le juge recevra un maximum d’informations pour démarrer son enquête.

La FSMA, dans son rôle de surveillance, met à jour régulièrement une liste de plateforme suspecte. Malheureusement, le flux est important et les escrocs rivalisent d’ingéniosité pour passer à travers les mailles.

La responsabilité des réseaux sociaux, qui véhiculent ces publicités, devrait être explorée, surtout à la suite de l’entrée en vigueur du Digital Services Act (DSA) au niveau européen, qui vise à faire diminuer la diffusion de contenus et produits illégaux et à instaurer plus de transparence entre les plateformes en ligne et leurs utilisateurs.