La fête n’aura pas duré. La vive curiosité entourant le projet inauguré vendredi en Belgique laisse déjà place à de troublantes préoccupations. La Villa, sympathique endroit en soi, servirait de vitrine à un réseau de MLM dans le collimateur des autorités financières.
Tapis rouge. Flambeaux. Bouteilles de champagne réétiquetées aux couleurs de la maison. Les promoteurs de La Villa du Bitcoin avaient mis les petits plats dans les grands pour accueillir la trentaine de « sympathisants » présents à l’ouverture vendredi dernier. Le sourire quittait difficilement les lèvres de Vincent, le fondateur officiel, visiblement satisfait par la tournure de l’évènement. Un enjouement communicatif et partagé par ses amis, Maxime S., Genghis et Salvi, associés dans cette entreprise locale originale. Mais d’aveu de certains invités, il régnait malgré tout une drôle d’atmosphère ce soir-là dans La Villa. Une sorte de confusion sur les intentions réelles derrière ce nouveau projet de « résidence de la réussite financière », comme les associés aimaient à l’appeler lors de la sauterie.
Préalablement contactés par nos soins pour en apprendre davantage sur leurs motivations personnelles et leurs objectifs entrepreneuriaux, les porteurs du projet n’ont pas encore répondu aux premières et banales questions. Cependant, depuis cette soirée inaugurale, des échos plus préoccupants nous sont parvenus à leur propos. Après vérifications, tous les quatre apparaissent effectivement très impliqués dans une entreprise de multiple-level marketing (MLM), un système pyramidal de vente qui consiste en fait à inciter les consommateurs à recruter eux-mêmes de nouveaux membres. Ils opèrent ainsi en échange de récompenses sous forme de commission, de remises ou « d’opportunités » en accédant à des outils d’investissement « normalement réservés à des institutionnels » avec un ticket d’entrée à 1 million de dollars.
Les créateurs de La Villa du Bitcoin évoluent dans la nébuleuse de Learn.Do.Succeed (LDS), une entreprise basée à Nantes, et de sa partenaire IGenius, la filiale de l’entreprise américaine Investview, qui exploitent internationalement un réseau de vente directe grâce à des « distributeurs indépendants » qui proposent des produits et services liés au concept d’émancipation financière (formation et placement). Avec une promesse toujours assumée : la fortune se trouve à la portée de quiconque. Autrement dit, quiconque recrute suffisamment de nouveaux membres. Quiconque vend suffisamment. Quiconque fait le bon choix d’investir grâce aux outils vendus…
De l’investissement éducatif aux placements en crypto-actifs
Affichant leurs performances commerciales sur les médias sociaux, ces ambassadeurs belges de LDS et d’IGenius se placent à des rangs plus ou moins élevés dans ce que le réseau MLM propose comme « plan de carrière ». Ils bénéficient de paies mensuelles variant de 5.000 à 25.000 $ par mois, hors bonus et autres « incitants ». Ce qui implique des sommes 4 à 5 fois plus élevées générées par leurs « parrainages » et ventes directes des produits et services d’IGenius.
« Cette offre comporte des outils de recherche, d’éducation et d’investissement conçus pour aider l’investisseur autonome à naviguer avec succès sur les marchés financiers, notamment les actions, les options, le FOREX, les ETF, les options binaires et la cryptomonnaie », détaillait en mars dernier la maison mère d’IGenius, Investview, dans un rapport annuel obligatoire à la SEC, le gendarme boursier des États-Unis.
IGenius propose plusieurs niveaux d’adhésion déclinés en autant de packs d’abonnement : « des offres irrésistibles à des prix irrésistibles » selon les slides de présentation qui tournent en boucle, de groupes fermés sur Telegram à des salles de meeting à Charleroi, Liège, Mons. Du pack« Choice » à 99,99 $ par mois, donnant surtout accès à du contenu de formation financière, au pack « Elite NDAU Max ».
Ce pack ultra haut de gamme écoulé à 9999,99 $ fournit en plus toutes sortes de logiciels de trading vantés comme sophistiqués ainsi que l’accès à une cryptomonnaie prétendument incroyable, la NDAU. Un actif numérique dont les ventes ont chuté de 83% entre juin 2022 et juin 2023 mais que les distributeurs Learn.Do.Succed et IGenius permettent d’acheter « 30% moins cher que le prix du marché avec à la clé un rendement composé de 25% ».
« La demande d’éducation financière et d’autres services est renforcée par le contact personnel continu entre les membres et les distributeurs. De plus, la plupart de nos distributeurs sont membres et utilisent eux-mêmes nos produits et services, et peuvent donc fournir des témoignages de première main sur nos produits et services, qui peuvent constituer un puissant outil de vente », se félicitait encore malgré tout Investview.
Déjà signalés à la justice
Interrogés à nouveau par Be-Crypto sur ces nouveaux aspects de leur projet, afin de dissiper les préoccupations, les promoteurs de La Villa du Bitcoin n’ont pas encore donné suite aux questions portant sur leur double casquette d’ambassadeurs pour Learn.Do.Succeed et IGenius.
Du côté des gendarmes financiers belges par contre, l’activité où cohabitent marketing de réseau MLM et investissement crypto accuse un désagréable sentiment de déjà-vu. « iGenius est le nouveau nom de Kuvera Global, une entité à l’encontre de laquelle la FSMA a publié une mise en garde en octobre 2019 », indique Mathieu Saudoyer, porte-parole de l’Autorité des services et marchés financiers (FSMA).
À l’époque, la FSMA s’inquiétait déjà de la vente au public d’applications et de formations censées les aider à faire des placements financiers. Et l’autorité mettait déjà garde contre cette offre aux membres d’avantages et de gratifications qui croissent à mesure qu’ils recrutent de nouveaux entrants. Kuvera n’était pas autorisée à fournir des services et produits financiers et exhibait de surcroit des caractéristiques d’une fraude pyramidale.
« L’intégralité des informations obtenues par la FSMA, notamment au travers de signalements de consommateurs, ont été transmises aux autorités judiciaires, afin que celles-ci puissent entamer des poursuites sur le plan pénal », nous confirme Mathieu Saudoyer pour le cas de Kuvera. La situation se répète-t-elle, cette fois sous les bannières iGenius et Learn.Do.Succeed qui reproduisent les mêmes activités ? En raison du secret professionnel strict auquel l’instituion est tenue, la FSMA n’a pas pu commenter les cas particuliers.
De l’autre côté de l’Atlantique, la SEC avait assigné Investview à produire des documents en novembre 2021. Le gendarme boursier US enquête justement sur iGenius, l’exploitation du réseau de vente directe et son offre de produits crypto. Pour l’heure, il n’est pas établi que ces activités ont violé les lois sur les valeurs mobilières ou autres.
Le risque de sanction pénale
Cela étant dit, l’autorité financière attire tout particulièrement l’attention sur les entreprises qui commercialisent des logiciels de trading et de formation. Ces investissements auxquels ces outils donnent accès ne font souvent pas l’objet d’une supervision financière, notamment en ce qui concerne les cryptomonnaies, ou sont interdits de commercialisation en Belgique, à l’instar de certains produits Forex.
Surtout que la réglementation a connu des adaptations, les prestataires souhaitant offrir en Belgique des services liés aux cryptomonnaies, d’échange ou de conservation, doivent être préalablement enregistrés auprès de la FSMA.
Pour mémoire, la publicité pour des cryptomonnaies commercialisées sur le marché belge doit désormais aussi se conformer à certaines règles précises, en matière de contenu, de mentions obligatoires tels que l’avertissement « Monnaies virtuelles, risques réels. En crypto, seul le risque est garanti ». Et si les campagnes s’adressent à plus de 25.000 personnes, les entreprises doivent également les notifier au préalable à la FSMA.
« Une analyse approfondie de chaque cas est nécessaire pour déterminer si une entité fournit des services qui tombent dans le champ d’application de ces réglementations ou fait de la publicité en Belgique dans le cadre de la commercialisation de monnaies virtuelles auprès des consommateurs », reconnaît Mathieu Saudoyer, pour l’Autorité des marchés.
Néanmoins, le Code de droit économique stipule toujours que créer, exploiter ou promouvoir en Belgique un système de promotion pyramidale dans lequel le consommateur verse une participation en échange de la possibilité de percevoir une contrepartie provenant plutôt de l’entrée de nouveaux consommateurs dans le système que de la vente ou de la consommation de produits, peut être considéré comme une pratique commerciale trompeuse. « Susceptible de faire l’objet d’une sanction pénale », conclut la FSMA.